La médecine a fait tant de progrès
que plus personne n’est en bonne santé.
Aldous Huxley
Il apparaît dans l’ordre des choses de recourir à la consultation médicale lors des problèmes de santé. La médecine a fait des progrès immenses, rétablit souvent la santé, sauve des vies et prolonge l’existence. Mais, voilà, c’est comme si nous abusions des services de santé : pour un rien, nous courons vers la clinique d’urgence et, en bon patient passif, nous subissons l’influence du corps médical et surtout de la médication. Si l’on consulte pour un mal de tête anodin, un rhume ou un mal de dos sans gravité, la probabilité d’une ordonnance est élevée, d’où la surconsommation, voire même un mauvais usage de médicaments alors que le repos aurait pu suffire à régler la question. Selon l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS), 30 % des Canadiens pourraient avoir subi, ces dernières années, des soins non nécessaires.
Cette médicalisation ou ce recours quasi inutile à la médecine prend sa source dans une recherche presque obsessive de la sécurité, une peur d’être malade et peut-être de mourir. À beaucoup d’égards, la santé est devenue une religion, une sorte d’idée fixe dans nos sociétés occidentales. Les médias y sont pour quelque chose, bien sûr, avec des informations multiples sur le taux de cancer en progression, les méfaits du tabac, les épidémies de grippe et, en contrepartie, la nécessité de se maintenir en santé à tout prix. Trop de personnes se considèrent comme des malades en devenir plutôt que comme des personnes en bonne santé.
Qui est maintenant normal?
Un bel exemple de médicalisation. La parution de la cinquième version du Diagnostical and Statistical Manual (DSM-5), l’ouvrage de référence des psychiatres américains, fruit d’une élaboration avant tout consensuelle, n’est pas sans faire sourciller : un nombre de simples malaises ou d’écarts à la norme sociale peuvent faire l’objet maintenant de diagnostic de maladie mentale. Des personnes normales passent maintenant dans la catégorie de malades mentaux. La timidité devient ainsi phobie sociale. Qui peut être maintenant normal, si tout est devenu pathogène? Cette nouvelle classification fait évidemment le bonheur de l’industrie pharmaceutique de plus en plus de connivence avec le monde médical.
Par le biais de la consommation de médicaments, le lobby pharmaceutique contribue beaucoup à la médicalisation de la santé. Les stratégies de marketing des plus grandes compagnies pharmaceutiques visent aujourd’hui de manière agressive les personnes en bonne santé. Les hauts et les bas de la vie quotidienne sont devenus des désordres mentaux, les maladies ordinaires sont transformées en maladies effroyables, et de plus en plus de gens deviennent des patients…1 Bref, nos sociétés occidentales sont victimes d’une pathologisation généralisée de la vie humaine. Il suffirait peut-être d’une réflexion en profondeur pour prendre en main son capital santé et bien juger de la pertinence de consulter un médecin ou non. L’esprit critique s’avère essentiel, car, comme l’avoue le Dr Nortin M. Hadler, il n’existe pas d’autre moyen d’éviter de compromettre son bien-être par la médicalisation ou, ce qui est pis, de sacrifier sa santé sur l’autel de l’iatrogénèse, c’est-à-dire aux maladies provoquées par les traitements médicaux.2
Les médicaments comportent des risques pour la santé
Dans son livre La vérité sur les médicaments, Mikkel Borch-Jacobsen, Ph.D., philosophe et historien, affirme justement : Les médicaments sont des substances étonnantes, admirables, auxquelles nous devons, depuis la fin du XIX,e siècle de véritables miracles. Ils ont sauvé d’innombrables vies humaines. (…) Or, les médicaments sont aussi des substances dangereuses, à manier avec précaution. Ces molécules chimiques peuvent nous rendre malades ou même nous tuer.
Les médicaments demeurent le traitement de prédilection des médecins; pour certains, avons-nous l’impression, hors des médicaments, point de salut! Le patient ne manque pas d’encourager cette pratique : si le médecin ne lui prescrit pas une pilule, il sortira probablement de la clinique fort déçu et frustré. En effet, comment pourra-t-il guérir? Or, tous les médicaments présentent des risques plus ou moins importants. Il suffit de consulter le Compendium des produits et spécialités pharmaceutiques (CPS), disponibles dans les pharmacies, pour se rendre compte que chaque médicament comporte effets indésirables et contre-indications.
Les lobbys pharmaceutiques dirigent habilement la consommation des médicaments. Ce n’est pas en vain que le magazine Protégez-vous, dans un dossier remarquable, traite du marketing sur ordonnance. Il est notamment question des pressions sur le milieu de la santé de la part des représentants de l’industrie du médicament et de la grande manipulation des compagnies lors des essais cliniques. Le Dr Alain Vadeboncoeur, chroniqueur dans les médias et chef urgentologue à l’Institut de cardiologie de Montréal, constate que les magnats des médicaments s’ingèrent de plus en plus dans la recherche médicale et les établissements de santé. Il précise :
Cela va du financement commercial des universités aux essais cliniques biaisés, des pseudo publications scientifiques à l’abaissement régulier des seuils de facteurs de risque pour certaines maladies, de l’éducation continue des médecins aux visites incessantes des représentants pharmaceutiques qui nous apportent des échantillons gratuits. Sans oublier le financement des congrès, les repas payés à l’hôpital ou au cabinet, les réunions commanditées et les soupers-conférences dans de grands restaurants.3 Fait notable, l’industrie pharmaceutique dépense aux États-Unis deux fois plus en promotion qu’en recherche et développement.
En conclusion, si la consultation médicale et l’usage des médicaments peuvent s’avérer indispensables parfois, il ne faut point en abuser. Plusieurs malaises et ennuis de santé peuvent s’estomper en évitant les écarts alimentaires ou en se reposant. Bien sûr, il faut être attentif à ce qui se passe dans notre organisme, prendre son bien-être en main dans la mesure du possible. Mais recourir aux soins médicaux pour des vétilles : une simple toux, un dérangement intestinal, un mal de tête passager, c’est médicaliser notre santé, c’est-à-dire que l’on traite de simples ennuis comme des problèmes qui nécessitent un soutien médical.
André Ledoux, L. Psychopéd., M.A., Cert. Gér.
Auteur et conférencier
Références
- Brian Orchard, «Le business de la maladie », Vie et santé, printemps 2006 – traduit de l’anglais par Gaël Feltracco, http://www.fondation-vision.ch/ node/2436 (consulté le 20 février 2019).
- Nortin M. Hadler, M.D., Malades d’inquiétude? – Diagnostic: la surmédicalisation!, Québec, traduit de l’anglais par Fernand Turcotte, M.D., Québec, Presses de l’Université Laval (PUL), 2011, p. 9.
- Rémi Maillard, «Marketing sur ordonnance», Protégez-Vous, mai 2010, p. 9-10.
- Google, Images correspondant à médicament, consulté le 4 juillet 2020.