Sachant que je devais préparer pour mon rédacteur en chef un court texte sur un thème tissé à même le fil des ans, j’ai tout de suite pensé que je devrais confronter un sujet d’une trop grande amplitude, qu’il serait difficile en quelques mots seulement de bien cerner cette question intergénérationnelle. Comment allais-je traiter ce vaste et souvent controversé chantier humain si l’on pense seulement aux divers groupes actuels qui émettent des opinions et des vox pop sur l’une ou sur l’autre des générations. Et là je ne parle pas de la pléthore de statistiques, d’études, d’approches, et même des réactions de répondants à des sondages. En fait, la question reste entière : Y a-t-il un immense continent ou un simple lien ténu entre les générations? Sommes-nous en cohésion sociale ou en disparité d’âge?
Plusieurs ont déjà parlé, défini ou délimité les nouvelles générations montantes (nous les appelons ainsi pour l’instant, faute de mieux?) Ces dernières font l’objet de définitions, de constatations et d’appréciations raffinées et précises. Comme si la vie avait à la fois un nom spécifique pour chacun de ces visages qu’elle voit naître et pour lesquels nous en tirons parfois de curieuses généralités.
POURQUOI UN DÉCOUPAGE DES GÉNÉRATIONS?
Est-il encore vraiment utile ici de segmenter si finement les générations qui suivent celle de l’après-guerre (que nous appelons familièrement baby-boom) et qui s’est étalée de 1946 selon les sociologues jusqu’en 1964? Est-il encore véritablement significatif de les catégoriser, les étiqueter, voire de les codifier afin d’en tirer une philosophie d’existence? Cela donne l’impression que considérations humaines sont différentes à chaque génération (avec leur perte ou de réévaluation de sens) et que les valeurs profondes de l’existence doivent s’adapter à de continuels « logiciels humains » plus performants que nous devenons. Comme si constamment nous devions refaire le monde qui souhaite se vouer à je ne sais quelle nouvelle vérité fondamentale et abstraite autre que l’amour, le respect, l’amitié la considération humaine, de l’environnement et des générations futures. Peut-être est-ce, pour ces générations-là, un moyen d’occulter d’un geste le passé et de laisser leur propre empreinte en se disant que ce qui avait cours avant eux était forcément suranné.
Et là il faut aussi considérer que bientôt, après la nouvelle Génération Z, (comme Zapper et dite la nouvelle silencieuse) on recommence déjà le manège des âges avec la Génération A (pour Alpha) actuellement en formation et qui a minimalement 11 ans et qui rêve peut-être insidieusement de plonger dans les arcanes de l’intelligence artificielle, de l’ère de la robotisation et de l’automatisation. Sans doute, cette génération qui pourra influer sur la démesure humaine. Et puis, que sera la suivante après ces nouveaux de la génération Alpha? Aurons-nous aussi la Génération B pour Béta? Et ainsi de suite?
QUE SONT LES GÉNÉRATIONS P, R ET S?
Et qu’arriverait-il à l’autre bout du spectre, chez les aînés, si on appliquait la même rhétorique de description des générations, la même substantifique nuance, le même discernement quasi-chirurgical pour segmenter ces années de vie, ces générations ultimes? Si on distinguait aussi avec autant de précision les générations pour les personnes âgées que nous serons tous forcément un jour? Alors dans la même logique un aîné de 65 ans serait de la Génération P (pour Proche aîné) et celui de la Génération R (pour Résilient) aurait déjà 75 ans! Et plus tard encore, espérance de vie oblige, au-delà du grand âge, de 85 ans il pourrait y avoir la Génération S (celle de la grande Sagesse) soit celle de la fin de vie ! Les aînés aussi ont leurs générations et leur âge de vivre.
Ces considérations de sont pas farfelues, loin de là; elles ne suivent que cet esprit de segmentation que l’on applique aux générations montantes Aussi vite que les jours nous glissent entre les doigts nous nous immisçons avec notre génération vers celle qui nous a précédée. Ce conflit générationnel s’il existe n’est pas lié à l’âge, mais à la proximité des intérêts. Nous vivons actuellement en moyenne une vie à quatre générations et il faut s’y habituer; c’est peut-être « trop de monde dans l’ascenseur », quel terrible inconfort en un si court temps, mais nous devrons apprendre au fil des années à cohabiter et à se respecter, car chacun vieillit à son heure et cette « balle d’âge » que nous lançons parfois rudement contre le mur devra un jour nous revenir avec la même intensité.
Toute apparence de conflit devra faire preuve de tempérance. Le temps que nous prenions à nous adapter à cette nouvelle réalité du vieillissement nous concerne tous, car un jour nous aurons passé au travers de ces générations et verrons peut-être tardivement mais sûrement, la pertinence d’avoir franchi chacune d’entre elles.
PIERRE FOURNIER