Vivre en résidence privée
D’entrée de jeu, une résidence privée pour aînés (RPA) n’a rien à voir avec un centre d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD), lieu qui accueille essentiellement les aînés en perte d’autonomie ou atteints gravement de maladie dégénérative. Le Québec est la province qui compte le plus grand nombre d’aînés vivant dans les RPA; 18 % des personnes âgées y habitent alors que cette proportion fluctue entre 5 et 10 % dans le reste du Canada. C’est plus de 35 % dans le groupe des aînés de 85 ans et plus, selon les données du Regroupement québécois des résidences pour aînés (RQRA).
L’explication de cet écart réside probablement dans le fait que nos services à domicile n’ont pas toujours été à la hauteur des attentes de la population. Le Québec serait « l’un des pires endroits du monde pour les soins à domicile. Cette situation peu enviable est liée à la Régie de l’assurance maladie et à la carte d’assurance-maladie qui ne couvre pas les soins à domicile; les personnes âgées sont condamnées à se rendre à l’urgence pour obtenir de l’aide ou des soins. Obnubilé par une vision à courte vue, qu’on pourrait qualifier d’hospitalo-centriste, le Québec ne se rend pas compte que sa population vieillit. Et lorsqu’on vieillit, ce n’est pas nécessairement d’une urgence engorgée qu’on a besoin, mais de soins à domicile29 ».

Pourtant, quelques pays européens seulement investissent plus que le Québec en soins à domicile (SAD). Ceci dit, notre système « hospitalo-centrique », au sens où l’entend le cinéaste Denys Desjardins, ne donne effectivement pas la possibilité de bien gérer un système de soins à domicile efficace, de qualité et prioritairement accessible, surtout lorsqu’on accuse déjà un déficit de 20 000 infirmières et préposés et de travailleurs sociaux au Québec et qu’un solide programme nécessiterait véritablement pas moins de 10 000 personnes de plus. Au-delà des coûts, l’enjeu principal en est un de ressources humaines, dans un contexte de rareté. Même avec des salaires majorés de façon significative, à moyen terme, nous aurions toujours beaucoup de difficulté à recruter et à maintenir autant de gens dans ce métier, vu le faible taux de natalité des 50 dernières années et le peu de Québécois « de souche » enclins à choisir ce type de travail.
On ne compte plus les avantages de vivre dans une résidence privée pour aînés. L’entretien de la propriété n’est alors plus un souci. Par ailleurs, la sécurité des résidents est au premier plan avec une panoplie de moyens techniques de protection : caméra de surveillance, boutons d’appel d’urgence, clé à puce électronique, présence de gardiens. Et que dire de ces nombreux services comme l’épicerie et la pharmacie à proximité, l’accès facile à l’infirmière ou au médecin? Les activités variées créent une atmosphère conviviale et favorisent hautement la socialisation, ennemie de la solitude et de l’isolement. Le modèle d’affaires développé tient compte de tous les avantages que les résidents pourraient retrouver dans une communauté comme celle qu’ils ont quittée. Les RPA ont voulu que les résidents se sentent « chez eux » sans éprouver un sentiment de dépaysement ou de dépossession.
De fait, les RPA au Québec sont nettement moins médicalisées que dans les autres provinces canadiennes. La plupart de ces résidences offrent des services à la carte comparativement à des « tout-inclus » que l’on retrouve ailleurs, soit des appartements plus grands (moyenne de 150 pieds carrés) avec cuisine complète et système de buanderie. En somme, les RPA situées à l’extérieur du Québec sont conçues pour des gens moins autonomes, plus fortunés, et les prix sont justifiés par plus de services et de soins; par conséquent, les loyers moyens y sont presque le double de ceux du Québec. En bref, on parle d’un produit « résidentiel » très différent. Au Québec, on met davantage l’accent sur l’aspect social, la disponibilité de services au besoin et l’autonomie. Le résident est assuré de trouver une activité qui lui procurera joie et plaisir en agréable compagnie, rien ne lui est imposé et il conserve toujours sa liberté et son indépendance.
Bien sûr, tout n’est pas parfait dans les 1 700 résidences pour aînés du Québec. Un fait est toutefois certain : beaucoup d’aînés sont très heureux de vivre en résidence privée. Les statistiques sont éloquentes : selon les données récentes du RQRA, le taux de satisfaction des résidents s’élève à plus de 90 %.
Auteur : André Ledoux, Apprivoiser le Grand âge (2021)