Vieillissement réussi et bien-vieillir
Ces deux concepts remontant à plus de 50 ans sont revenus dans l’actualité de la santé lors de la réunion annuelle de la Gerontological Society of America en 19862. Depuis plusieurs décennies, on nous sert allègrement les expressions « bien vieillir », « vieillissement en santé », « vieillissement actif » ou « vieillissement réussi », au point où d’aucuns se demandent s’il ne s’agit pas d’un exercice de mise en marché. Ou si vieillir est une entreprise ou un métier qui pourrait se solder par un échec ou un succès. La réalité est toutefois évidente : nous vieillissons tous mieux en général grâce à une meilleure éducation à la santé, soit des informations idoines sur les bonnes habitudes de vie et les progrès de la médecine.
Il est coutume de considérer différents modèles3 de vieillissement :
Le vieillissement courant, normal, habituel, accompagné de quelques difficultés dues à l’âge comme l’hypertension ou l’arthrose; on y observe une autonomie satisfaisante de même qu’une bonne qualité de vie.

Le vieillissement vulnérable
La personne, devenue fragile, doit être protégée et risque la perte d’autonomie; il peut survenir un début de maladie évolutive.
Le vieillissement pathologique
La maladie a fait son oeuvre; souvent dépendant, l’aîné vit dans un centre d’hébergement ou en institution.
Le vieillissement réussi
Le successful aging américain : des gens généralement à l’aise financièrement jouissent d’une vie sociale et familiale enviable, et s’occupent à diverses activités ou à des projets.
On doit à John W. Rowe, M.D., et Robert L. Kahn, Ph. D., le concept du « vieillissement réussi », ou successful aging; les deux chercheurs américains ont publié en 1997 un ouvrage sur le sujet. Original et multidimensionnel, ce concept ouvrait une voie constructive à l’avancement en âge en opposition avec l’approche des quatre « D » : dependency, disease, disability, depression.
Selon les deux auteurs, le vieillissement réussi repose sur trois composants : « absence or avoidance of disease and risk factors for disease, maintenance of physical and cognitive functioning, and active engagement with life (including maintenance of autonomy and social support). […] According to the classic concept of Rowe and Kahn, successful ageing is defined as high physical, psychological, and social functioning in old age without major diseases (5, 6). […] The main focus in the concept of successful ageing is how to expand healthy and functional years in the life span4 ». On constate donc qu’un grand aîné réussit bien son vieillissement quand il jouit d’une bonne santé physique et mentale; autonome, il entretient des relations sociales enrichissantes et productives. On pourrait ajouter que la notion laisse sous-entendre un sens de l’humour chez ces aînés, un altruisme, une adaptation aux changements et de la résilience. Le concept de ces deux auteurs a exercé une influence prépondérante sur la gérontologie et la gériatrie.
Des experts ont toutefois mis en doute la conception du vieillissement réussi, trop biomédicale ou clinique et présentant un caractère trop normatif; vivre avec une maladie ne constitue pas nécessairement un échec du vieillissement : un grand aîné diabétique peut fort bien couler des jours heureux… De plus, le vieillissement réussi constitue une forme de régulation sociale qui place les aînés dans un moule occultant les particularités individuelles de l’existence.
Ces chercheurs ont donc voulu remplacer la notion de « vieillissement heureux » par celle de « bien-vieillir ».
Plusieurs aspects définiraient le bien-vieillir :
- Des conditions de santé physique et mentale relativement bonnes qui tiennent compte des ennuis de santé;
- Une attitude positive envers la vie qui permet d’apprécier les plaisirs et les joies de l’existence, tout en acceptant les pertes du vieillissement;
- Une sécurité matérielle et affective;
- Une autonomie qui permet de vaquer à ses activités quotidiennes;
- Des relations humaines valorisantes qui conduisent à l’engagement social.
Les chercheurs qui ont exploré le concept du bien-vieillir5 dans une perspective socio-économique ont constaté notamment que les aînées des milieux favorisés estimaient que le bien-vieillir était lié à une acceptation des événements de la vie ou à une attitude sereine à l’égard des pertes du vieillissement. Dans les milieux populaires, les opinions diffèrent : le bien-vieillir comporte moins d’exigences et se résume souvent à « avoir le nécessaire pour vivre »; les personnes moins nanties se contentent de ce qu’elles ont.
Le bien-vieillir présente plusieurs modèles, comme l’illustrent Marcellin Gangbè et Francine Ducharme6 dans leur article « Le ‘‘bien vieillir’’ : concepts et modèles ». Les auteurs y abordent notamment les modèles unidimensionnels comme le bien-vieillir biologique, cognitif et psychosocial. Nous croyons que les aspects relatés ci-haut, qui précisent la notion de bien-vieillir, la définissent d’une façon rigoureuse et intégrale.
Auteur : André Ledoux, Apprivoiser le Grand âge (2021)